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    J’ai beaucoup retardé l’olfaction des hespéridés car j’ai cultivé bêtement un préjugé de banalité à leur égard : on a tellement senti ces odeurs dans les innombrables eaux de Cologne que nous distribue le commerce actuel que l’on s’attribue la certitude idiote que l’on a déjà fait quelque part le tour de la question. Ensuite, on préjuge stupidement que ces odeurs disent toutes à peu près la même chose, évoquant sensiblement le même climat printanier et euphorisant, ce qui, du reste, est à la fois vrai et faux. Il faut surtout comprendre que l’on passe réellement à côté d’une œuvre d’art, car c’est un peu comme si on reprochait à Claude Monet d’avoir peint autant de variations d’un même thème, les nénuphars ou la cathédrale de Rouen. Si les hespéridés nous disent tous différemment la même chose, c’est bien pour nous rappeler qu’il n’y a pas d’unité sans diversité, ni de diversité sans unité. Il y avait donc matière à approfondir.

    Bergamote (huile essentielle)

    Ce qui me semble caractériser la bergamote parmi les autres hespéridés, c’est son extrême douceur, son velouté, sa tendresse. L’odeur est évidemment citronnée, mais sans aucune acidité, suavement sucrée, finalement assez peu zestée. Pourtant fruit d’un croisement entre un citronnier et un oranger amer, la bergamote est, à l’odeur, une sorte de citron doux, velouté, extrêmement suave. Sur le plan du ressenti, c’est un parfum très intérieur, de sorte que l’on a la sensation d’être quelque part au-delà du registre du fruit, au même titre que, avec la lavande, on a l’impression d’être au-delà de la fleur. En dépit d’une première note un peu piquante, sa senteur s’adoucit très rapidement pour adopter, en cœur, une atmosphère duveteuse, certes délicatement citronnée, à mi-chemin entre l’amer et le sucré, mais aussi subtilement balsamique, fleurie et comme miellée (faisant parfois songer à une résine comme l’opoponax), dégageant un cachet d’une grande pureté. Plus le parfum s’affine sur la peau, plus il épouse des tons subtils comme autant de variations d’un même thème. Très contenue, la bergamote exhale une senteur de grand apaisement, de recueillement, de réconciliation profonde, donnant la sensation olfactive du calme et du silence, donnant l’impression d’être sorti du monde et de l’histoire. C’est une odeur qu’il faut sentir seul et à l’écart du bruit. Son secret (très extrême-oriental) est d’être naturelle sans paraître sapientiale.

    Petit-grain (huile essentielle)

    J’aime beaucoup cette odeur très verte, à la fois piquante, sèche et balsamique, légèrement amère et camphrée, mais infiniment suave, comportant de mystérieux tons boisés, ambrés, subtilement fleuris, faisant songer aux effluves de sous-bois de la lavande, qui lui donnent une profondeur vraiment envoûtante. La note de tête, très singulière, est follement originale. La note de cœur, fine, typée, distinguée, a une touche aristocratique, entretenant un air de parenté avec le myrte vert et le vétiver. La note de fond est d’une remarquable finesse. Comme on le voit, ce minuscule bourgeon de fruit, tout en puissance, est un hespéridé au caractère bien trempé, dont la singularité olfactive tient sans doute à cette vitalité contenue, prête à éclore, à cette imminence précédant le moment tant attendu de l’ouverture, de l’épanouissement, de la délivrance.

    Limette (huile essentielle)

    Plus sophistiqué qu’on l’imagine, le parfum de la limette s’apprécie en deux temps. La première note délivre la senteur typique du citron vert : piquante, pétillante, verte, citronnée, à la fois douce et amère, exhalant merveilleusement la joie et la vitalité. La seconde, beaucoup plus profonde et complexe, exprime de magnifiques tons fruités d’une grande richesse. La note globale de la limette, plus ronde, plus pleine, moins sèche et verte que celle du petit-grain, propose aussi une senteur plus piquante et extravertie que celle de la bergamote.

    Orange (huile essentielle)

    La senteur de tête est infiniment douce comme celle de la bergamote. En cœur, elle devient légèrement plus pointue et acide, tout en restant cependant toujours dans le registre de la plénitude. Presque aussi intérieure que la bergamote mais plus terrestre, comme maternelle, l’orange exprime une confondante générosité. De forme ronde et pleine comme un sein gorgé de lait, elle est l’expression même de l’amour maternel, de la terre-mère, de la substance nourricière. C’est la réconciliation de toujours avec la vie.

    Orange sanguine (huile essentielle)

    La note sanguine apporte dès le départ une subtile acidité à la senteur de l’orange, relevant et enrichissant son bouquet aromatique, mais lui ôtant du coup son caractère maternel. En fin de compte, c’est la sanguine qui procure le plus fidèlement la senteur typique d’orange, ce qui peut être utile pour introduire ostensiblement sa note dans un parfum. Par comparaison, l’orange de base, plus intérieure, moins primaire, se prêtera davantage à une évocation de climat en arrière plan.

    Clémentine (huile essentielle)

    La note de tête, vraiment originale, fait difficilement penser à la clémentine, ou même à un hespéridé. L’odeur, pourtant nettement zestée, verte et sèche, presque épicée, comme boisée ou résineuse, très agressive tout en étant introvertie, est difficilement cernable. Il faut laisser du temps, du champ, à cette senteur violente (qui, de ce point de vue, ferait presque penser à la cannelle), pour qu’on puisse l’apprécier plus calmement. La note de cœur, verte, piquante, très montante, enlevée, comme emportée, à la fois incisive et ténue, subtile et affirmée, est d’une originalité surprenante (plus grande encore que celle du petit-grain), très loin de la senteur (conventionnelle) du zest de clémentine. C’est une odeur jeune, primesautière, fringante, pimpante, fougueuse, espiègle, insolente de singularité, merveilleusement insolite, qui possède un cachet unique et irrésistible d’une très grande subtilité. Elle réveillerait un mort. On est ici au cœur de sève, au centre organique de la vie. Une bombe, à utiliser avec précaution.

    Cardamome (huile essentielle)

    Après avoir respiré les hespéridés, il faut sentir la cardamome, car cette épice sublime s’intègre merveilleusement au tableau. Délicatement aromatique, la note de tête propose, sur une base subtilement épicée et camphrée, un mariage original du petit grain bigaradier, harmonieusement conjugué à la clémentine et à la limette, avec une base de bergamote, associée à l’orange. Loin de ressembler pourtant à un pot pourri, la cardamome réalise la performance de s’imposer comme un hespéridé à part entière, délicieusement singulier. Sa senteur fine et légère, subtile et aérienne, réemprunte aussi certains accents de la coriandre et du gingembre, pouvant également évoquer, de façon plus lointaine, certains tons particuliers du vétiver.

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